Travaillant presque exclusivement pour les membres de la famille Gonzaga, souvent Ă leur cour Ă Mantoue, Antico a gagnĂ© son surnom en se spĂ©cialisant dans l'interprĂ©tation de la sculpture antique grecque et romaine. Les voyages Ă Rome dans les affaires de Gonzaga lui donnaient l'occasion de voir les derniĂšres dĂ©couvertes d'antiquitĂ©s, que ses mĂ©cĂšnes collectionnaient avidement ; aider Ă acquĂ©rir et Ă rĂ©parer ces statues et bustes donnait au sculpteur une connaissance concrĂšte de l'art antique. Son style prĂ©cis et Ă©lĂ©gant doit beaucoup au soin avec lequel il a coulĂ© et chassĂ© ses bronzes ; ce raffinement technique de son Ćuvre, autant que son Ă©vocation du monde antique, a sĂ©duit des gĂ©nĂ©rations de mĂ©cĂšnes exigeants parmi les Gonzaga, de Giansco, Ă sco II et sa cĂ©lĂšbre Ă©pouse Isabella d'Este, Ă Federico II.
Isabella semble avoir possĂ©dĂ© cinq bustes d'Antico datant de 1519 Ă 1522 : Cleopatra (Museum of Fine Arts, Boston), Bacchus, Ariadne (Kunsthistorisches Museum, Vienne), Alexander (Liechtenstein Museum, Vienne) et Antoninus Pius, l'Ćuvre actuelle. Le souverain Gonzaga suivant, son fils Federico II (1500â-â), possĂ©dait un second, plus tard, buste d'Antoninus Pius et d'une de ses Ă©pouses, Faustina, que l'on croyait ĂȘtre ceux qui se trouvent aujourd'hui au musĂ©e du Louvre, Ă Paris. Federico avait des affinitĂ©s avec cet empereur et son Ă©pouse et les avait apparemment intĂ©grĂ©es dans le schĂ©ma dĂ©coratif de la Sala di Troia du Palazzo Ducale de Mantoue. Les dirigeants de la Renaissance arboraient frĂ©quemment des bustes de chefs anciens avec les vertus desquels ils souhaitaient s'associer. L'astrologue Luca Gauricus a appelĂ© Federico un second Alexandre et a comparĂ© son maĂźtre avec d'autres notables de l'histoire romaine. L'empereur Antoninus, dont le sobriquet "Pius" lui a Ă©tĂ© confĂ©rĂ© par le SĂ©nat romain en reconnaissance de sa droiture, Ă©tait connu pour ses hauts standards personnels et Ă©tait donc un exemple appropriĂ© pour Federico. De plus, "Scriptores Historiae Augustae", un manuscrit appartenant aux Gonzaga, rapporte que l'empereur Ă©tait beau et aristocratique, comme Federico lui-mĂȘme.Ainsi, les deux bustes d'Antoninus Pius exposĂ©s Ă Mantoue par les annĂ©es 1520 avaient des connotations lĂ©gĂšrement diffĂ©rentes pour leurs propriĂ©taires : pour Isabella, Ă©rudite et ionnĂ©e d'art, le buste aujourd'hui Ă New York reprĂ©sentait une figure exemplaire de l'histoire ancienne ainsi qu'une Ćuvre d'art du plus haut calibre, et elle l'exposait avec certains de ses autres grands et petits bronzes sur l'Ă©tagĂšre supĂ©rieure de la grotte dans son appartement personnel au Palazzo Ducale. Pour Federico, le buste aujourd'hui Ă Paris symbolisait les vertus et les qualitĂ©s qu'il chĂ©rissait, et il l'exposait Ă©videmment dans un salon public.
Dans les annĂ©es 1990, le buste du musĂ©e a Ă©tĂ© reliĂ© par Ann Allison Ă un document de 1524 qui indique que le sculpteur a empruntĂ© des outils Ă la fabrique de munitions de l'Ătat pour terminer un buste de l'empereur Antoninus. Ă l'Ă©poque, Allison pensait que le buste du Louvre avait Ă©tĂ© fabriquĂ© dans l'atelier d'Antico aprĂšs la mort du maĂźtre ; cependant, un nettoyage rĂ©cent a rĂ©vĂ©lĂ© qu'il Ă©tait de meilleure qualitĂ© que prĂ©vu, et Allison, aprĂšs avoir rĂ©visĂ© son opinion, croit maintenant que le buste de New York est le plus ancien des deux (1519â-masterâs) et que le buste de Paris doit ĂȘtre celui de 1524. Elle caractĂ©rise les bustes rĂ©alisĂ©s pour Isabella, dont celui-ci, comme Ă©tant plus raffinĂ©s que ceux rĂ©alisĂ©s plus tard pour Federico. Tous les membres du groupe prĂ©cĂ©dent partagent une dĂ©finition scrupuleuse des boucles de cheveux dans le cadre d'un traitement fluide de l'ensemble ; l'accent est mis sur les yeux Ă travers des patines ou des argents variĂ©s ; et des nez forts et des lĂšvres polies.
La comparaison de l'empereur Antoninus Pius avec des bustes anciens, comme celui de la Glyptothek de Munich, illustre Ă quel point l'artiste Ă©tait prĂȘt Ă prendre son interprĂ©tation. La version d'Antico partage les caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©rales de son prototype, mais l'artiste a affinĂ© les dĂ©tails des cheveux et intensifiĂ© l'expression du sujet en gravant les sourcils et en creusant les joues. Les mĂšches de cheveux profondes et croquantes crĂ©ent un motif vibrant ; une telle virtuositĂ© technique confirme la formation prĂ©sumĂ©e d'Antico en tant qu'orfĂšvre. Les boucles sur la tĂȘte rejoignent celles de la barbe pour encadrer le visage plutĂŽt pensif de l'empereur. Une couronne de laurier couronne la tĂȘte et sĂ©pare les boucles profondĂ©ment travaillĂ©es d'un tourbillon de cheveux plus plat au-dessus de la couronne. L'examen technique a rĂ©vĂ©lĂ© que la tĂȘte et le buste ont Ă©tĂ© modĂ©lisĂ©s sĂ©parĂ©ment et rĂ©unis lĂ oĂč le long cou soulĂšve majestueusement la tĂȘte des Ă©paules. Les lignes fluides de la toge encerclent le torse et dissimulent le point de jonction. ModelĂ© avec confiance, le buste d'Antico rivalise avec les grands bustes de portraits classiques ; brillamment fini, il donne une idĂ©e trĂšs bienvenue de la splendeur des exemples anciens, si souvent abĂźmĂ©s, qui ont dĂ» avoir l'air d'autrefois.